Il faut savoir lire les signes du temps…
Quand un arbre voit ses feuilles tomber, quand il constate que les tourbillons de vent froid emportent ses fruits, il sait qu’il lui faut retourner à ses racines pour se ressourcer et concentrer ses énergies.
C’est un peu ainsi que plusieurs chrétiens se sentent. Dans une nécessité vitale d’aller rechercher la sève originelle dans l’arbre du christianisme.
Il ne s’agit en aucun cas d’un retour en arrière, ou de s’accrocher à des comportements traditionalistes, mais plutôt de retrouver une sorte d’élan premier de la foi.
Et cela vaut aussi pour la dimension picturale. Notre époque est extraordinaire en termes de foisonnement d’images et d’expressions artistiques. Mais on s’y perd quelque peu…
À l’atelier Dominique-Emmanuel, cela fait des années que nos recherchons l’étincelle qui a animé la floraison de l’art sacré chrétien. Et ce au-delà des mouvements de mode ou des académismes qui en ont découlé.
La réinterprétation d’œuvres anciennes peut nous aider en ce sens. Une réinterprétation n’est pas une fidèle copie, c’est davantage une actualisation contemporaine en prenant certaines libertés que ce soit au niveau du médium, de la représentation, de l’habillement, de la mise en scène ou du langage pictural.
C’est similaire à l’affiliation à un arbre généalogique: l’enfant reçoit un héritage génétique de ses parents tout en renouvelant la forme de vie au travers de sa propre spécificité et authenticité.
Un « vitrail numérique »
À l’atelier, nous avons choisi de réactualiser la lumineuse présence qui se dégage d’une scène de crucifixion peinte à Cologne, aux alentours de 1465, par celui qu’on appelle le « Maître de la Vie de Marie ». Tout en nous inspirant étroitement de cette œuvre, nous l’avons convertie en « Vitrail numérique ».
Un vitrail numérique est une œuvre conçue et réalisée sur des programmes de peinture numérique, et transposée par la suite au moyen d’une impression numérique sur un support translucide.
L’œuvre peut être disposée devant une source de lumière naturelle, par exemple une fenêtre, ou encore devant une boîte lumineuse éclairée aux leds. Cette approche est particulièrement avantageuse pour les petites chapelles urbaines avec peu de fenêtres et un budget réduit.
Le traitement des couleurs est très différent pour une peinture, sur laquelle la lumière est réfléchie, que pour un vitrail, lequel est littéralement traversé par les rayons lumineux. Les couleurs sont plus denses, et les contours, constitués à l’origine par des rails de plomb, sont plus marqués et épais. Il en résulte un effet de luminosité exceptionnelle.
Pourquoi le choix du XVème siècle aux Pays Bas?
Nous avons choisi de réinterpréter une série de peintures flamandes primitives de cette époque parce qu’à notre avis, il s’agit d’une période charnière dans l’histoire de l’art chrétien.
L’art sacré chrétien, dans son expression originelle, a quelque chose de hiératique, symbolique et archétypal. Ce n’est pas pour rien que l’on dit que l’on « écrit » une icône, parce qu’on utilise alors un langage et des codes précis qui assurent l’homogénéité de la tradition picturale de cet art sacré. Ce qui confère aux visages une dimension parfois un peu impersonnelle,perçue comme étant froide par certains.
Cette approche picturale se comprend parfaitement lorsque l’on découvre que c’était spécifiquement le rôle de l’art sacré que d’inviter à se détacher des apparences périphériques et illusoires pour s’ouvrir à une autre dimension, celle de la transfiguration.
Or il s’est passé au XVème siècle quelque chose de nouveau, la dimension humaine est apparue dans l’art religieux, particulièrement dans les Flandres et en Italie. Considérée comme une perte de sacré par les artisans traditionnels, cette nouvelle dimension a toutefois ouvert la porte à la représentation plus tangible de la miséricorde de Jésus et d’une manière générale à la compassion humaine.
Le Christ y est apparu davantage dans sa dimension incarnée, dans l’humilité du partage de notre condition humaine, plutôt que dans sa dimension glorieuse et transfigurée de fils de Dieu. Ce qui en soi constituait une forme de révolution.
C’est un moment unique dans l’histoire de l’art chrétien. Par la suite cette représentation humaine dans les scènes religieuses connaîtra toutes sortes d’aventures (et aussi de débordements excessifs) au gré des modes picturales profanes : classicisme, maniérisme, académisme, sentimentalisme, impressionnisme, abstraction, art conceptuel et autres.
L’art religieux du XVème siècle présente un subtil et délicat équilibre entre la dimension symbolique de l’art primitif chrétien, d’origine orientale, et le surgissement de la dimension humaine dans l’art chrétien occidental.

Peinture originale du Maître de la Vie de Marie
Bien qu’exerçant son art à Cologne, le Maître de la Vie de Marie semble avoir été formé aux Pays-Bas. Sa représentation de la crucifixion témoigne tout à fait de la juxtaposition des symboles sacrés hérités de l’iconographie traditionnelle et en même temps de l’humanisation des personnages propre à cette période charnière.
Une version « enténébrée » de la crucifixion

Réinterprétation d’une scène de la crucifixion du Maître de la Vie de Marie sous forme de « vitrail numérique » par l’Atelier Dominique-Emmanuel
Pour la réinterprétation de la crucifixion du Maître de la Vie de Marie sous forme de vitrail, le changement majeur que nous proposons, c’est de situer la scène dans le contexte d’une éclipse solaire, en suivant la parole citée en Mt 27,45 et Mc 15,33 :
« À midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à trois heures. »
Cette interprétation tenant compte de ces ténèbres à l’heure de la crucifixion nous semble symboliquement plus juste que la représentation initiale sous un ciel bleu.
Ensuite nous avons un peu simplifié et universalisé les vêtements qui étaient trop associés aux spécificités culturelles de l’époque, en particulier pour Marie-Madeleine.
Pour terminer, le graphisme et les couleurs ont été adaptés en fonction du rendu sous forme de Vitrail.
Pourquoi ne pas se contenter d’une simple reproduction d’une œuvre traditionnelle?
C’est une grande question! Pourquoi en effet s’acharner à réactualiser des œuvres anciennes alors qu’il est tellement plus simple et beaucoup moins coûteux de se satisfaire d’une reproduction imprimée?
D’autant plus que certaines anciennes œuvres témoignent d’un esprit, d’une beauté et d’une maîtrise technique inégalés!
La réponse nous semble évidente, la foi chrétienne subsistera tant qu’il y aura des personnes prêtes à l’incarner, dans les prières comme dans la vie.
Il en va naturellement ainsi pour l’art chrétien, il restera vivant tant que des artistes l’incarneront et le renouvelleront!
Atelier Dominique-Emmanuel