Démarche irrespectueuse ou au contraire humble et sincère hommage au peintre?
Je récidive dans la réinterprétation d’œuvres traditionnelles chrétiennes.
Cette fois-ci, je me suis permis de déconstruire un tableau connu de Titien et d’en faire une version condensée, avec respect et admiration!
Pourquoi s’approprier d’une œuvre traditionnelle et en actualiser le sujet à notre époque?
En ce qui me concerne, c’est d’abord pour reconnaître une certaine filiation avec les artistes qui m’ont précédés, reconnaître avec gratitude que nous sommes les heureux héritiers d’une inestimable richesse picturale.
Bien sûr, je pourrais me contenter de passer du temps à contempler l’un ou l’autre de ces chefs-d’œuvre. Je ne m’en prive pas d’ailleurs.
Mais il y a quelque chose de beaucoup plus engageant, intime et signifiant dans le jeu de réactualisation d’une œuvre, en partageant le regard du peintre, en rentrant dans la peau de son pinceau, en parcourant trait après trait les étendues de sa toile!
Sans aucune prétention évidemment, parce que jamais personne ne pourra réellement se substituer à l’unicité et à l’authenticité du véritable peintre et auteur de son œuvre.
Il ne s’agit pas ici non plus de procéder par mimétisme, parce que aussi habile soit-elle, l’œuvre du faussaire ne fait que perpétuer les contrefaçons de la manière de faire de l’artiste original.
La réactualisation n’est pas une question de maîtrise technique ou de virtuosité, c’est davantage un jeu complice lorsque de modestes artisans s’amusent à fréquenter des espaces culturels communs dont ils se reconnaissent humblement héritiers.
Il est même préférable en partant de prendre une distance de la simple imitation, par exemple en choisissant d’utiliser d’autres médiums.
J’ai utilisé des outils de collage et peinture numérique pour ce petit clin d’œil à Titien. Cela semble un sacrilège, parce que jamais un médium artificiel ne pourra donner la profondeur et la délicatesse d’une peinture à l’huile. Jamais, j’en suis conscient.
Le clin d’œil numérique que je propose ne se substituera jamais à l’œuvre peinte, et c’est tant mieux. Mais celui-ci aura peut-être au moins le mérite d’inviter l’esprit qui a animé l’œuvre d’un peintre traditionnel à déposer un peu de sa finesse organique dans un univers virtuel généralement beaucoup plus périphérique et froid!
Les disciples d’Emmaüs avec Jésus, lors de la fraction du pain

Ce qui m’a touché d’emblée dans cette peinture, c’est la tranquille présence de jésus au centre de l’œuvre. Il se révèle modestement sans fanfare ni coups d’éclat, à la fraction du pain.
De sa main droite, il enseigne la parole qu’il a reçue de son Père. Tandis que du côté cœur, son bras est revêtu du voile marial et que de sa main gauche il offre le pain rompu de son corps.
Son visage est doux, empreint de miséricorde et de compassion
La mise en scène, dans un format paysage panoramique, est royale. Grande table de banquet avec nappes et couverts, chacun y a ses aises, jouissant d’un ample espace personnel.
Du coup les personnages semblent un peu dispersés et distraits, comme s’ils manquaient d’attention au miracle subtil qui s’opère devant eux.
La réinterprétation ci-dessous propose une version moins princière de la scène, en se limitant à un cadre pictural modeste dans lequel les deux disciples partagent un même espace de proximité avec Jésus. Il en résulte une version condensée qui se concentre sur la relation entre les trois personnages.

Le premier défi : extraire les disciples de la toile originale et les remettre en scène autour de Jésus. Il s’agit essentiellement d’un découpage photo et d’un réassemblage de l’œuvre originale.
Ensuite déplacer l’arrière plan pour qu’il soutienne et encadre davantage l’action en avant plan.
Tertio : rééquilibrer les jeux de lumières et les tonalités pour que le tout soit cohérent et harmonieux. C’est là que la « peinture numérique » est utilisée, au moyen de petits coups de pinceaux semi-transparents, un peu comme pour un glacis à l’huile ou comme pour une détrempe à l’œuf.

À notre atelier, nous ignorons si le résultat est pertinent en termes de rayonnement de l’art chrétien, mais le processus l’est assurément. La réinterprétation nécessite une fréquentation soutenue de l’espace créatif intime du peintre, très loin du coup d’œil furtif dont on se contente souvent lors de la visite de musées.
Atelier Dominique-Emmanuel
Cet article fait partie d’une série intitulée « hommages » dans laquelle les artistes et amateurs d’art chrétiens sont invités à copier et à commenter des œuvres appartenant à l’héritage artistique traditionnel de la chrétienté.
Magnifique réinterprétation qui pour ma part, y gagne en intensité dans l’expression de la rencontre. Je choisirais le tableau reconstruit pour mettre dans mon milieu de vie. Merci infiniment.
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Merci pour votre commentaire, cela nous encourage à poursuivre ce chemin de réinterprétation d’œuvres traditionnelles!
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